Lou Chaussalet : la vie secrète et fortuite des objets par Jean-Yves Leloup
Le monde qui nous entoure est parfois composé d’objets éphémères, de matières fugaces et de formes passagères. Des figures transitoires en quelque sorte, sculptées par la lumière et réunies par le hasard, qui peuvent croiser le regard d’une artiste, au détour d’une ruine, d’une source, d’une chambre ou d’un jardin.
L’illumination du saisissement
La démarche photographique de Lou Chaussalet obéit selon elle à « la flânerie et à la vigilance » qui guident ses pas et son esprit, au fil de son quotidien. « Je me balade et je vois des trucs » dit-elle avec simplicité, « des formes qui me saisissent, et dont je prolonge le saisissement par le biais de la photographie ». Sans concept, sans jamais partir à la recherche de motifs, elle se laisse guider de façon intuitive, faisant confiance à ses obsessions. C’est la raison pour laquelle elle a appelé son exposition, Serendipity, un terme qui désigne en anglais, la capacité ou l’art de faire une découverte, scientifique notamment, par hasard. Et parfois même de trouver tout autre chose, voire le contraire de ce que l’on cherchait, et plus encore de se rendre compte de son intérêt et de son importance. Par extension, le terme de sérendipité ou de « fortuité » (selon les québécois), a trouvé de nouvelles applications au sein de notre monde connecté, dans lequel nos promenades on line, guidées par l’ennui et le hasard, nous mènent parfois à des découvertes inattendues.
Si Lou ne sait donc pas toujours ce qui la guide et ce qui la meut dans cette volonté de photographier, au choix, une bouteille flottant dans une source, une épingle à linge illuminée par le soleil ou les formes abstraites de vêtements plongés dans une bassine, sa démarche atteste toutefois d’un goût prononcé pour le formalisme et l’abstraction plastique. Ses photographies capturent selon elle « des formes, des objets, des motifs » aux formes « symboliques et poétiques », qui s’apparentent à « des traces, des empreintes » dans lesquelles se manifeste « l’absence ».
L’acte photographique est par ailleurs chez elle, fugitif. « Ca se passe toujours très vite » raconte-t-elle, il y a toujours une sorte d’urgence dans le fait de saisir cette petite mise en scène préexistante », qui se dévoile sous ses yeux. « Un coup de vent, un nuage ou le passage du soleil peuvent suffire à faire disparaître ce que je perçois ».
Les objets ont une vie
Le soleil a en effet son importance dans le travail de Lou. Par le passé, elle dit avoir été très marquée par la forte lumière zénithale qui baigne l’île de la Réunion, où elle est née en 1976 et où elle a grandit.
Pour échapper à l’ennui, à la solitude, au désert culturel de l’île et à « une carrière toute tracée de médecin, d’avocate ou de haut-fonctionnaire », elle s’exile à Paris au début des années 1990, étudie l’histoire de l’art et la muséologie à l’École du Louvres, avant de se consacrer à l’étude du masque, à travers un DEA mené à l’École des Hautes Études en Science Sociales, mais plus encore aux côtés du Maître d’Art sculpteur de masques Erhard Stiefel, qu’elle accompagne pendant plusieurs années, au fil de ses travaux réalisés pour Ariane Mnouchkine, Alfredo Arias, Bartabas ou Tim Robins. « Au cours de cette période », se souvient-elle, « je me suis beaucoup occupé de sa collection de masques, qu’il avait en grande partie ramené d’Asie. J’ai vécu au milieu de ces objets, et je me suis toujours intéressé à la manière dont les interférences entre différents éléments pouvaient permettre de leur donner vie. C’est d’ailleurs un peu ce que je perçois aujourd’hui à travers mes photographies. Je ne mets pas en scène les objets que je photographie, j’y devine plutôt des sortes de scénographies, qui permettent de leur prêter l’illusion de la vie. Il y a de la sorte une petite part d’animisme en moi, que je dois sans doute à mon héritage créole et réunionnais ». « Je crois beaucoup que les objets ont une vie propre, au-delà de leur usage », insiste-t-elle, croyant discerner dans ce goût pour les choses inanimées, la valeur symbolique que les exilés accordent aux objets qui les relient à leur passé.
Ready made inattendus
Les objets que Lou capture avec son appareil numérique sont en effet loin d’être inertes. Ils s’animent grâce à leurs couleurs vives ainsi qu’à la lumière franche qui sculpte leurs contours. « Je suis d’abord très frappée par la couleur » affirme-t-elle. Ensuite, ses photos ne s’attardent pas sur l’illusion de la profondeur de champs, qui ne semble pas la préoccuper, disant préférer « les « à travers » et les reflets. ». « Je ne pratique pas non plus de montage ni de retouches autres que les manipulations basiques de développement. Ce qui m’intéresse c’est précisément que des bribes de réalité brute, du fait de leurs agencements et de leurs interactions, se manifestent comme des tableaux ». Si l’on peut percevoir à travers ces bribes, des formes évoquant les figures et les thèmes de la ruine, du vestige, de l’épave, de l’équilibre, de la construction ou du chantier, ses images à l’allure de ready made inattendu, aux formes construites mais fortuites, peuvent en effet évoquer chez le regardeur, toute une variété de gestes plastiques qui ont jalonné l’histoire de l’art, que l’on évoque l’abstraction géométrique ou même le surréalisme, avec qui l’artiste se sent des affinités qui lui semblent chaque jour de plus en plus évidentes.
C’est la raison pour laquelle Lou Chaussalet a choisi de mettre en exergue de son exposition, une phrase du poète André Breton, extraite de La crise de l’objet (1936), qui semble à merveille synthétiser et décrire sa démarche : « Le chemin vers le haut et celui vers le bas est le même. Toute épave à portée de nos mains doit être considérée comme un précipité de notre désir ». Pour certains regardeurs, il est souvent difficile de reconnaître les formes, ainsi que de discerner un sens de lecture, aux images que l’artiste fait imprimer sur de grands formats. Certaines de ses figures et de ses couleurs semblent en effet flotter dans l’espace, en apesanteur, sans fonction ni destinée, à l’image de la manière dont Breton considérait lui-même l’objet surréaliste, animé d’une « vie secrète dans notre imagination, nos rêves ou nos fantasmes » et doté « d’une vertu quasi magique que l’art est prié d’enregistrer »*.
Jean-Yves Leloup
* Selon Philippe Lavergne, auteur de André Breton et le mythe, 1985, José Corti.














